Son premier long métrage, Paris la blanche, a obtenu le premier Prix Alice Guy. Le jury l’a désigné à l’issue et d’une délibération de très haute tenue. Mais qui est la réalisatrice Lidia Terki 

« Le Prix Alice Guy est politique. Il interroge une réalité, celle de la place des femmes dans le cinéma »

Lidia Terki est la première réalisatrice à remporter le Prix Alice Guy. Elle le reçoit pour son premier long métrage Paris la blanche. Rencontre avec la lauréate 2018.

Lidia, Terki, la lauréate 2018 du Prix Alice Guy

Lidia Terki, la réalisatrice lauréate du Prix Alice Guy 2018, Solenn Rousseau, programmatrice du Quai Dupleix de Quimper et Véronique Le Bris, créatrice du Prix Alice Guy

Vous venez de remporter le premier Prix Alice Guy. Que représente-t-il pour vous ?
Lidia Terki : Je suis contente d’avoir un prix qui n’existait pas avant, et qui, dans son esprit, n’avait jamais été inventé. Le Prix Alice Guy, pour moi, est politique, parce qu’il prête à débattre autour de la place des femmes dans le cinéma. Il interroge une réalité : pourquoi les réalisatrices ne tournent-elles plus ou si peu, après leur troisième film ?

Comment ça ?
Lidia Terki : Les femmes parviennent à accéder aux aides publiques pour réaliser le premier film. Là, la parité est respectée. Cela se gâte dès le deuxième où les budgets commencent déjà à être moindres. Cela diminue encore pour le troisième film où les femmes ne représentent plus que 8% des cinéastes. Ce sont des chiffres qu’on tait. Dans le cinéma, les femmes ont un regard mineur. J’espère que le Prix Alice Guy va changer cela.

Alice Guy

Quelle filiation avez-vous avec Alice Guy ?
Lidia Terki : Une de mes amies a écrit un scénario sur elle, mais je n’avais jamais eu accès à ses films. J’ai été très émue de voir enfin son travail lors de la remise du Prix. Son film Les résultats du féminisme était déjà dans les débats d’aujourd’hui. J’ai découvert sa modernité, j’ai hâte de les revoir.

Et d’un point de vue formel, vous a-t-elle surpris ?
Lidia Terki : Alice Guy utilise en précurseur la composition des plans. Même sans son, sans dialogue, on comprend parfaitement ce qui se passe. C’est ça, le cinéma, il faut que la forme épouse le fond ! Un film n’est pas qu’une histoire. C’est justement ce que je me suis évertuée à faire dans Paris La blanche.

Lidia, Terki, la lauréate 2018 du Prix Alice Guy

Paris La blanche, lauréat du Prix Alice Guy 2018

Revenons au début. Comment est né votre désir de cinéma?
Lidia Terki : J’avais 12 ans lorsque j’ai vu L’aventure de Madame Muir de Joseph Mankiewicz, à la télévision. Dans une scène du film, des bougies s’allument toutes seules. Ce n’était pas possible ! Il y avait donc quelqu’un qui intervenait et j’ai voulu savoir qui c’était. C’est comme ça que j’ai pris conscience de ce qu’était un auteur, un réalisateur et je m’y suis intéressée. Mais on m’a dissuadée de faire du cinéma, j’ai donc commencé par étudier le droit.

Et comment avez-vous retrouvé le chemin du cinéma ?
Lidia Terki : J’ai rencontré Jean Rabasse, un chef décorateur aujourd’hui très connu – il a travaillé sur Astérix & Obélix contre César, Vatel, Faubourg 36 ou Jackie– mais qui, à l’époque, n’avait qu’une petite structure. Je l’ai supplié pendant des mois de travailler avec lui, même sans être payée ! A 21 ans, je me suis ainsi retrouvée stagiaire déco sur le film Jacquot de Nantes d’Agnès Varda. Ensuite, Jean Rabasse m’a accueillie dans son atelier : j’ai travaillé sur les maquettes de Delicatessen de Marc Caro et Jean-Pierre Jeunet, sur des pubs. Mais, la déco, ce n’était pas mon truc !

« Mon truc, c’est la caméra »

Et c’était quoi votre truc ?
Lidia Terki : La caméra ! Jean Rabasse m’a donné un sac d’accessoires et m’a envoyée « à la face », c’est-à-dire à la caméra. Voilà comment j’ai appris le cadre. Puis, la lumière en devenant doublure-lumière auprès du chef opérateur Jean Poisson. Petit à petit, j’ai fait tous les postes jusqu’à devenir seconde assistante réalisation auprès de Jacques Doillon, sur le tournage de Trop (peu) d’amour en 1997.

Quel souvenir en gardez-vous ?
Lidia Terki : C’était un investissement total, nuit et jour, car l’équipe était petite et je m’activais à tous les postes : assistance, scripte, maquilleuse, déco, ensemblière, coach de Lou Doillon… Ça, c’était le jour. La nuit, comme Jacques Doillon travaillait au montage et que j’étais aussi scripte, je sélectionnais les bonnes prises parmi les 50 à 70 prises du jour. Je triais, il montait. Et comme il était insomniaque, il fallait l’être aussi !

Lidia, Terki, la lauréate 2018 du Prix Alice Guy

Lidia Terki reçoit des mains du jury le Prix Alice Gy 2018

Est-ce après cette expérience que vous avez décidé de vous lancez dans la réalisation ?
Lidia Terki : Oui, je ne me voyais pas travailler avec quelqu’un qui n’aurait pas su où planter sa caméra ! En 1998, j’ai donc réalisé mon premier court-métrage, Mal de ville avec la société Elzevir Films qui débutait à ce moment-là. C’est l’histoire d’une fille qui est sur un balcon et ne sait pas quoi faire de sa vie. C’était très inspiré de la mienne ! Le film a été primé à Pantin et a beaucoup voyagé, plus que moi !

Forte de ce succès, avez-vous continué ?
Lidia Terki : J’ai réalisé Notre père, un court-métrage de 26 mn, un récit bizarre, fantastique qui se déroulait en Corse. Puis, La mirador, l’histoire d’une gamine qui suit son frère et finit par se droguer, comme lui. Surtout, j’ai filmé la nuit à Paris, les femmes DJ des soirées électro et techno, notamment l’emblématique, DJ Sextoy, décédée juste après. J’ai réalisé le projet Sexto qui comprend deux films documentaires qui lui rendent hommage : le premier avec des interviews, le second telle une immersion dans son travail et dans son personnage, sans aucun commentaire.

Filmer la musique

Comment peut-on les voir ?
Lidia Terki : C’est compliqué à cause des droits musicaux. Mais cela n’a empêché le projet de circuler en festival, de recevoir des prix. Il avait été produit grâce à une opération de crowdfunding soutenue majoritairement par des femmes qui faisaient de la musique.

 

Et comment a surgi Paris la blanche ?
Lidia Terki : Grâce à Colo Tavernier ! Elle m’avait montré quelques pages d’un scénario sur une femme qui recherche son mari dans Paris et qu’elle retrouve dans un foyer. J’avais plutôt imaginé que mon premier film serait un film fantastique ou d’anticipation, mais c’est pour Paris la blanche que j’ai obtenu des subventions et une production.

Pensez-vous que le Prix Alice Guy vous aidera à monter vos prochains projets ?
Lidia Terki : Je l’espère d’autant plus que j’en ai plusieurs en attente : un film d’anticipation, un autre fantastique, un absurde sur les utopies, une adaptation d’un livre de Robert Merle. Deux sont déjà écrits, un autre est sous la forme d’un traitement détaillé… On verra.

Propos recueillis par Véronique le Bris (Cine-Woman)

Lidia Terki a confié ses Tops 5 de films de femmes à Cine-Woman. Venez-lire !

©Charlotte Bourguibou – Delia Benais – Day for Night 2016